C’est la première fois que je voyage dans un pays du Sud.
Le premier matin à notre arrivée en ville j’ai l’impression que ça grouille de monde, tous sont pressés, ceux
qui descendent rapidement de la montagne la tête chargée de ce qu’ils ont à vendre, les conducteurs de pousses-pousses, les chauffeurs des voitures qui klaxonnent à tout-va, les piétons… tous recherchent la même place hors des trous sur les chaussées défoncées, et le tout enveloppé de poussière … C’est une réalité…
Mais il y en a une autre… ma première vraie impression fut, au 5ème jour, ma rencontre dans un village de brousse, Manambotra, dans le diocèse de Farafangana, sur l’Océan Indien, caché dans les bois, récente implantation depuis 3 ans des sœurs de Ste Thérèse.
Après une journée passée à visiter et à écouter l’activité et la vie des sœurs, j’avais comme un peu de nostalgie le soir à l’idée de repartir le lendemain matin. Au soir de ce jour, il y avait comme un leitmotiv qui m’habitait soudain : « l’unité du genre humain »…Qu’est ce que « l’unité du genre humain » dont le Concile parle tant ? Je m’interdis tout regard de condescendance sur la misère que j’ai vue et le courage de survivre, car les gens sont accueillants et souriants…je me dis que ces personnes rencontrées forment avec moi, à une place aussi intéressante que la mienne, l’unité du genre humain.
Qu’est-ce qui fait que j’ai ressenti cela ? Qu’est-ce-qui fait que j’aurais voulu rester comme au Thabor ?
J’ai rencontré des personnes qui ne peuvent rien revendiquer d’autre que d’être « des personnes ». C’est banal dit comme ça…
Le soir de notre arrivée, juste avant la tombée de la nuit, le président de la paroisse de ce village, dignement nous accueille, toutefois, il a la délicatesse de s’excuser d’avoir abusé sur l’alcool parce que sa petite fille venait d’être reçue au BEPC.
Le lendemain matin, juste à la limite du lever du soleil, la cloche annonce la messe, un prêtre arrive de Farafangana avec deux séminaristes…voilà qu’une douzaine de personnes viennent participer dans l’obscurité d’une église sans électricité. Le diocèse de Farafangane, compte 15 prêtres dont 6 malgaches. Quelle grâce de célébrer si discrètement, si pauvrement !
Puis, avant toute chose, après avoir rendu gloire au Christ, nous devons aller nous présenter au roi. Alors que tout semble calme et même vide, les alentours des cases sont propres, bien balayés, mais soudain, impossible de faire plus de trois pas sans que surgissent de partout des nuées d’enfants.
Toutes, nous devons faire l’honneur d’entrer dans la case du roi, chacune avec nos divers handicaps de genoux, de hanche ou de dos, nous nous asseyons sur la natte pour entendre le mot de bienvenue, « Tonga Soa ».
Nous voilà donc maintenant autorisées à parcourir ce village, à photographier à souhait. Des enfants, joyeux et confiants, nous accompagnent partout, non seulement ils sont heureux d’être photographiés, mais les mères les envoient aussi pour être photographiés, leur geste me fait penser qu’elles nous disent : « mon petit est beau, garde son souvenir, ne l’oublie pas » ! Et encore cette vieille femme qui embrassait ma main jusqu’à la mouiller pour ensuite la porter en caresse sur sa joue… Certains de ces enfants vont à l’école… dans cette école toute neuve… ils sont fiers de nous dire en français : « bonjour, comment t’appelles-tu ? ».
Les sœurs mettent toute leur intelligence au service de la devise de leur fondatrice, Mère Carlin : « l’enfant est une plante à cultiver »… alors c’est joie pour elles d’accueillir les enfants, de plus en plus nombreux, à cette rentrée il faut penser accueillir des pensionnaires car certains enfants ont 10 km à parcourir pour arriver jusque là ; bientôt, il faudra envisager la construction d’un collège…
Les sœurs travaillent beaucoup, elles ont un vaste terrain à entretenir, il est propice à la culture du manioc, de la girofle, de la vanille, de la banane et toutes sortes d’autres plantes… même modestement, moins de 2€ par mois, les familles doivent aussi contribuer à l’éducation de leurs enfants.
Pour les sœurs c’est une vie austère, très éloignée de la ville quasi inaccessible…et pourtant apparemment vie bien gratifiante…c’est au moins ce que leur sourire laisse transparaître…
Voilà ce que je comprends de « l’unité du genre humain ».
Ce qui fait l’unité, n’est ni mon confort ni ma culture.
C’est cette capacité à être heureux de rencontrer des semblables.
Cette importance d’être reconnu et respecté.
Ces mains tendues pour simplement donner et recevoir un bonjour.
Désir de vie, sans convoitise, sans se laisser éblouir par les chimères générées par le toujours plus de profits.
J’ai rencontré des êtres humains qui n’attendaient rien d’autre que de rencontrer d’autres êtres humains. Voilà ce qui me donnait envie de rester.
Rentrée maintenant depuis deux semaines, reprise par le quotidien… je suis déjà en train de méditer le mystère de Noël, comme si ces personnes m’avaient fait pressentir quelque chose de ce que le Christ nous révèle à Noël : Dieu dans la crèche, c’est l’homme sans mélange, l’homme à l’état pur.
Je comprends mieux aussi pourquoi le pape François veut tant attirer notre regard vers la pauvreté. S’il y a des pauvretés qui détruisent l’homme, il y en a une autre forme qui garde l’homme dans son humanité première, celle qui unifie tout le genre humain.
Emmanuelle Duez-Luchez